Soeur Mewoulou
 
Question : Sœur Brigit, quels évènements de votre vie ont été déterminants pour votre choix de  vie ?

Réponse : Il y a trois événements fondamentaux qui sont à l’origine de cette vocation:

1-    Je suis née dans une famille  extrêmement pauvre. J’ai connu la misère et son cortège de conséquences. C’est grâce à la solidarité des uns et des autres que je suis devenue ce que je suis aujourd’hui. Je sais que moi-même j’ai participé également à ma réussite.

2-     Je suis scout de naissance comme j’aime le souligner, âme vaillante à ma tendre enfance, scout depuis l’école primaire. J’ai milité très tôt dans les quartiers pauvres, j’ai été très tôt en contact avec des familles très démunies où j’appliquais aisément tous les jours ce devoir pour un scout : faire une bonne action (B.A) chaque jour.

Cet amour d’être toujours dans les quartiers très pauvres pour faire des B.A. ne m’a jamais quitté. Quel que soit le poste que j’occupais dans la congrégation. Le dernier en date était Directrice au Collège Christ Roi d’OBOUT, un collège de brousse en zone rurale. Très occupée par la charge administrative dans la semaine, j’avais le devoir de descendre dans les villages le week-end pour rendre visite aux familles pauvres, aux parents dont les enfants ne pouvaient pas payer leur scolarité pour qu’on trouve ensemble des solutions appropriées.

C’est dans ce contexte que j’ai fait connaissance très tôt de la maladie SIDA. Les descentes régulières dans les villages et quartiers les week-end et jours fériés m’ont fait découvrir la raison pour laquelle beaucoup d’enfants dont des parents étaient des fonctionnaires  ne payaient pas aussi leur scolarité. Pour moi il n’était pas question de faire sortir tout simplement un enfant parce qu’il ne payait pas, il était question d’abord d’aller m’enquérir de la situation des parents et d’en discuter. Ces parents fonctionnaires et même leurs épouses étaient malades pour la plupart, ne travaillaient plus et la maladie se prolongeait six mois, un an et ils finissaient par mourir.

Soucieux d’aider ces parents, je les amenais à l’hôpital, un grand hôpital protestant  à 3 kilomètres du collège que je dirigeais et c’est là qu’un médecin « blanc » m’a révélé que tous ces gens vont mourir, ils ont le « SIDA », il n’y a pas de médicaments pour cette maladie. Nous sommes en 1989. Ce qui m’a propulsé dans la lutte contre le sida est cette question : ces dizaines d’enfants des parents morts ou atteints de sida qui étaient dans mon établissement avaient mon soutien et que deviendront d’autres centaines d’enfants sans soutien ?

3- En 1990 j’ai fait un voyage dans le cadre d’une réunion scout en Ouganda où le sida faisait vraiment rage. J’ai vu comment  les religieuses et les bonnes volontés s’occupaient  de façon active des orphelins du sida. Cela m’a encore plus motivée de me mettre efficacement à la lutte contre le Sida

Voilà les évènements de ma vie qui ont été déterminants pour mon choix.  J’avoue que j’ai eu beaucoup de malentendus avec ma Congrégation au point qu’il a fallu l’arbitrage de Rome qui, Dieu merci, m’a donné raison.

Question : Et l’Eglise, les paroisses, l’Evêque, les communautés religieuses participent-ils à ce service ?

Réponse : En général, aujourd’hui au Cameroun, l’Eglise ayant pris conscience de la gravité de cette pandémie, elle s’engage de plus en plus dans la lutte contre le VIH/SIDA. D’autres diocèses créent même des structures. C’est dans cette optique que le Diocèse d’Obala, auquel j’appartiens, soutient cette œuvre. Monseigneur, Son Excellence Jérôme OWONO MIMBOE ne ménage aucun effort pour soutenir ce service. C’est un service à vocation religieuse, un service d’Eglise.

Par ailleurs, nous notons avec satisfaction l’implication de plusieurs communautés religieuses au Centre d’accueil  temporaire des orphelins  situé au quartier Efoulan à Yaoundé. Elles viennent travailler bénévolement ; des prêtres viennent encourager  ces orphelins, les soutenir à travers les prières et des messes.

Question : Et l’Etat, que fait-il ? Aide-t-il ou instrumentalise-t-il ? Il y a-t-il une politique d’aide pour les sidéens au Cameroun ?

Réponse : L’Etat est partie prenante de la lutte contre le Sida à tous les niveaux à travers le Ministère de la Santé publique et le Comité national de Lutte contre le sida.  Il a une politique d’aide et de soutien envers les ONGs en mettant en place un  cadre institutionnel. L’Etat a octroyé le premier agrément au statut d’ONG à notre association compte tenu de l’expérience, de l’expertise et de la pertinence  de nos activités auprès des populations camerounaises. Par ailleurs, l’Etat organise les acteurs de la société civile dans le cadre de la réponse locale. Ces acteurs sont  intégrés dans les différentes structures de la  Lutte Contre le Sida.

Question : Etre religieuse, le fait d’appartenir à une communauté vous aide-t-il ? Pourrait-t-elle être la vôtre, la nouvelle forme de travailler pour les derniers, les pauvres ?

Réponse : Si au départ les communautés religieuses sont restées inactives vis-à-vis de la lutte contre le sida, soit par pudeur, soit par peur, soit même par ignorance, aujourd’hui, compte tenu de l’ampleur de la pandémie, de l’esprit de service et d’entraide au nom de Jésus Christ qui caractérisent les congrégations religieuses, elles s’y mettent valablement. Je ne prends que l’exemple de ma congrégation qui s’est farouchement opposée à ce que je faisais, elle commence à comprendre. Moi, je travaille avec une équipe de bénévoles et de volontaires dans les quartiers et villages pour donner ma modeste contribution  à la lutte contre le sida. Je suis convaincue que la nouvelle forme d’évangélisation passe nécessairement par le service auprès des pauvres, des malades et des laissés-pour-compte.

Saint Benoît n’avait-il pas dit : « Prie et travaille ».

Question : Avez-vous des histoires à nous raconter sur les gens avec qui et pour qui vous travaillez, … des exemples de foi, de solidarité… ?

Réponse : J’ai beaucoup d’histoires de mes cibles. Vous savez, le travail avec les pauvres n’est pas facile. Il faut vraiment aimer et surtout, voir Jésus Christ en eux pour ne pas se décourager. C’est un travail ingrat.

Je me suis occupée d’une malade qui tendait vers la mort. Elle était abandonnée par tous. J’y ai mis mon énergie pour la sauver. Un jour (alors qu’elle allait déjà un peu bien, elle pouvait sortir et s’asseoir sous sa véranda) en allant lui rendre visite comme d’habitude,  j’ai croisé une de ses voisines qui m’a interpellée,  à quelques mètres de ma malade  et je me suis mise à causer avec elle. Des causeries banales qui ne concernaient pas ma malade. Elle voulait que je l’aide à lui trouver un job. Après qu’on ait fini, ma malade est venue à ma rencontre et a commencé à m’insulter, à m’agresser, elle a même failli porter main sur moi, car elle prétextait que j’avais raconté à mon interlocutrice qu’elle avait le sida alors qu’elle n’en avait pas. Si vous avez l’idée d’un quartier populeux  des grandes villes d’Afrique où cohabitent les badauds et toutes sortes de délinquants ; en moins de deux, trois minutes, j’étais déjà encerclée par une foule de gens qui hurlaient des insultes à mon endroit, me lançaient de vieux papiers sales, du sable et de vieilles bouteilles sales en plastique. Je n’ai été sauvée que par mon interlocutrice qui est venue leur expliquer clairement notre sujet de conversation. Après cet incident, je suis rentrée à la maison.

 Deux jours après, je reçois cette même malade, venue me prier de l’amener à l’hôpital parce qu’elle a rechuté et je me suis exécutée tout de suite.

Des situations pareilles, j’en ai eu des dizaines. Malgré tous ces désagréments, toutes ces humiliations, je ne désarme pas, car je sais que quand on souffre, surtout chez les démunis, on devient nerveux et agressif. En plus ce sont des gens sans éducation on ne saurait les pénaliser à cause de leur comportement. C’est l’esprit de foi qui m’anime et me donne de la  maîtrise devant ces situations et m’amène à continuer avec ces mêmes personnes.

Par ailleurs, ce qui m’a le plus frappé dans mon travail, c’est ce témoignage de certains couples qui est pour moi un exemple de foi et de solidarité. Dans plusieurs couples chrétiens ou non, il arrive que l’un d’eux soit atteint du sida et l’autre séronégatif. A la question de savoir comment une telle situation peut arriver alors que dans la vie d’un couple, les relations sexuelles (devoir du couple) sont régulières et non protégées.

J’ai toujours eu cette réponse : «  ma Sœur, nous dormons sur un même lit et ça fait plus de 10 ans que nous n’entretenons plus de relations sexuelles, quand j’ai constaté qu’il commençait à mener une vie de débauche ». Dans tout cela ni les enfants qui vivent avec eux dans la maison, ni le monde extérieur, personne ne sait que ces gens se comportent comme frère et sœur. Et celui qui est malade est bien encadré par l’autre. Je trouve cela fantastique, quel esprit de  foi,  quelle discrétion, quelle solidarité.

Au Centre Temporaire d'Efoulan, les orphelins que nous hébergeons chaque année sont pris en charge par des moyens très modestes, et  ceci depuis plus de 12 ans. Cependant presque chaque semaine, nous recevons quelques dons en nature : riz, macabos, savons des associations féminines et des particuliers. Quand ceux-ci arrivent, ils me disent : « ma Sœur, nous sommes venus rendre visite à nos enfants ». Ces mots me vont droit au cœur, ils témoignent d'un esprit de solidarité et de foi, car ils ne disent pas « aux   enfants » mais à «  nos enfants ». Il arrive même qu’un groupe nous apporte tout simplement 2 morceaux de savon de 200g et 3 kilos de riz, pour moi, la quantité m’importe peu et c’est la façon de donner qui compte et l’esprit de solidarité qui se montre là.

Il y a même des petits groupes qui viennent uniquement pour faire laver les habits des orphelins ou les laver eux-même.

On sait qu’ici au Cameroun on a peur de s’approcher des Sidéens, celui qui est atteint par cette maladie est marginalisé et laissé à lui-même. Quelles sont  les raisons et comment faire pour que le Sidéen soit accepté dans la société ?

Les raisons sont l’ignorance sur la maladie et les préjugés. Les gens ignorent comment la maladie se transmet et comment l’éviter, c’est pourquoi l’un des objectifs principaux de notre ONG depuis sa création est de former des Pairs Educateurs pour l’éducation et la sensibilisation des populations vulnérables des communautés pauvres pour mieux comprendre tous les contours non seulement de la maladie SIDA mais aussi des autres maladies sexuellement transmissibles qui font rage et par conséquent  accepter et  accueillir  les sidéens et orphelins du SIDA.

Partout au Cameroun, on trouve des affiches invitant le camerounais à aller se dépister. Mais malgré cela, il y a toujours réticence au dépistage. Est-ce que cela rend votre service plus difficile et comment aidez-vous les gens à comprendre l’importance du dépistage ?

Il y a des réticences certes, comme je l ‘ai dit plus haut, c’est par ignorance. Cependant, une bonne éducation résout tous les problèmes. Par cette éducation, les gens comprennent de mieux en mieux le sens du dépistage volontaire et l’acceptent aisément. Nous avons introduit dans cette éducation une nouvelle approche qui est  l’éducation par Conversation Communautaire qui consiste non à donner des solutions toutes faites aux populations mais de discuter avec eux sur les problèmes qui les minent et de trouver ensemble des solutions. Nous avons des résultats satisfaisants.



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